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Mariage, époux-surprise et algorithme :
L’équation à 3 inconnues qui ne fait pas bon ménage !

Réflexion sur la régularité des mariages de l’émission TV « Mariés au premier regard ».

Mai

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Mise à jour le 30/05/2022
Par Marion COEURET

Que ce soit ceux qui ont boycotté le programme par perplexité voire par consternation, ou ceux qui se sont laissés tenter un soir – voire plus si affinité -, nous nous sommes tous demandés si les mariages contractés dans le cadre de cette émission étaient véritablement valables aux yeux de la loi. Cette question qui suscite la curiosité des profanes n’est pas non plus sans intérêt pour le juriste. Et comme je suis toujours preneuse de sujet distrayant pour mes étudiants de 1ère année de droit, j’y ai vu un cas bien réel à leur livrer pour tester leur amour (ou plutôt leur désamour) pour le raisonnement juridique ! Alors, j’ai eu envie de me livrer à l’exercice. 

Quid du concept ? : former des couples présentant un fort taux de compatibilité, déterminé au moyen d’algorithme scientifique. Jusque-là, rien de bien nouveau sous le soleil par rapport aux nombreuses autres émissions de téléréalité ayant déjà exploité le filon des mises en relations amoureuses. La seule « innovation » réside dans le moyen de rapprochement des candidats : la science. Mais, à supposer que l’on puisse vraiment trouver l’amour grâce à la science, ce n’est pas la méthode mathématique qui créé le buzz, et qui in fine, cause un souci d’ordre juridique. Ce qui pimente cette expérimentation, c’est le « pari » qui en découle pour les participants. Ces inconnus scientifiquement compatibles ne se découvriront que le jour de leur … mariage ! Et c’est là que le hic se situe. Dans l’Ile de la tentation, les couples venaient mettre à l’essai leur amour pour savoir s’ils étaient faits l’un pour l’autre, avant de donner le cas échéant une tournure plus officielle à leur relation. Dans Mariés au premier regard, c’est l’inverse : le couple ne précède pas le mariage, le mariage précède le couple. L’attractivité de l’émission réside donc dans la prise du risque du mariage : les candidats auront-ils le courage de prendre l’engagement que représente le mariage, alors qu’ils ne se connaissent pas ? D’un point de vue moral, on ne peut que regretter que l’émission mise son succès sur l’importance de l’institution du mariage, tout en faisant de celui-ci une farce. D’un point de vue juridique, même si la production a pris un certain nombre de précautions pour border la chose, on ne peut que questionner la validité d’un mariage entre de parfaits inconnus, quand bien même il aurait la bénédiction de la science.

Pour savoir si un tel mariage est valable, il faut repartir des causes de nullité du mariage. Sur la forme, d’abord. On sait que le mariage doit être précédé de la publication des bans 10 jours au moins avant la date du mariage (article 63 du code civil), qu’il doit être célébré par l’officier d’état civil de la commune de résidence, établie depuis au moins 1 mois à la date de publication des bancs, de l’un des époux ou de l’un de leurs parents (articles 74 et 165 du code civil), à la marie, portes ouvertes, et en présence d’au moins 2 témoins (articles 75 et 165 du code civil). S’agissant des bans, l’affichage aux portes de la mairie est bien effectué par la production ; les candidats devant probablement s’engager à ne pas aller consulter cet affichage pour conserver l’anonymat du futur époux sélectionné. S’agissant du lieu de célébration du mariage : il s’avère que tous les mariages de l’émission Mariés au premier regard sont célébrés dans la commune de Grans, dont le Maire a accepté de « jouer le jeu ». On peut imaginer que la production loue des logements provisoires au nom d’un futur époux afin de rapporter ce justificatif de résidence. A défaut de fabriquer un lieu de résidence factice à Grans, on sait que l’incompétence territoriale de l’officier d’état civil n’est sanctionnée effectivement par la nullité du mariage, qu’en présence d’une intention frauduleuse des époux. Ici, il est difficile de considérer que les futurs époux ont voulu conférer un caractère clandestin à leur mariage. Dépaysement du mariage ne rime pas nécessairement avec clandestinité de celui-ci. Nombreux d’ailleurs sont les futurs époux qui s’organisent pour aller se marier dans leur commune « de cœur », ou tout simplement dans une marie plus photogénique que les locaux au goût douteux de leur commune de résidence.

D’un point de vue formel, l’absence d’une dernière formalité peut être questionnée : celle de l’audition des époux, auquel le Maire est tenu de procéder en application de l’article 63 alinéa 2 2° du code civil (outre à l’article 175-2 c.civ), sauf si elle ne lui apparait pas nécessaire au regard des articles 146 et 180 du code civil. On sait que cette faculté d’audition des époux a été pensée comme un moyen de contrôle et de lutte contre les mariages blancs à but migratoire et contre les mariages forcés. Ici, pas de recherche d’un résultat étranger à la finalité du mariage de type titre de séjour, ni de mariages arrangés entre familles respectives. Un mariage au 1er regard n’est donc pas dans le collimateur originel de l’article 175-2 du code civil, auquel le Maire de Grans aurait dû faire la chasse. Au demeurant, l’absence d’audition des époux lorsqu’elle aurait été opportune (ce qui relève de l’appréciation et donc du subjectif), n’est pas sanctionnée par la nullité du mariage. La seule conséquence pour le Maire peu regardant, se situerait sur le terrain de sa responsabilité personnelle pour manquement à ses devoirs et obligations dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. A supposer que le mariage sans rencontre préalable des époux soit susceptible d’être contesté, notamment en ce qu’il mettrait en cause une autre forme d’intention matrimoniale relevant du champ de l’article 146 du code civil, n’est-ce pas du Parquet qu’il aurait fallu attendre une réaction ? Le parquet dispose en effet, en amont, d’un droit d’opposition au mariage (article 175-1 c.civ), et en aval, d’un droit d’agir en nullité du mariage (articles 184 & 191 c.civ). Visiblement, le Parquet ne s’est pas offusqué du trouble à l’ordre public qui pourrait résulter de ce détournement de l’institution du mariage.

Passons-en maintenant aux conditions de fond. Parmi les causes de nullité du mariage, il y a celles qui intéressent le consentement des époux : absence de consentement des époux à l’article 146 c.civ, et vices du consentement des époux à l’article 180 c.civ (violence et erreur ; le dol n’étant pas une cause de nullité en matière de mariage).

De prime abord, on pense de suite à la nullité pour erreur sur la personne, voire sur ses qualités essentielles, envisagée à l’article 180 alinéa 2 du code civil. Néanmoins, se tromper sur quelqu’un, suppose de s’être mépris sur une personne que l’on pensait connaître, ce qui suppose d’avoir connu (même de loin) cette personne. Or, comment peut-on admettre une marge pour l’erreur alors que les époux ne se connaissent pas et ne se sont jamais rencontrés, ce qui exclut toute affiliation qui aurait pu être source d’erreur sur l’identité et la personnalité de l’autre ? De manière pragmatique, on ne peut pas se tromper sur quelqu’un qu’on ne connait pas. Je ne pense donc pas à titre personnel que cette cause de nullité, pour erreur sur la personne, puisse être invoquée de manière pertinente.

Pour autant, la considération même de la personne destinée à devenir le futur époux, semble bien être au cœur de la réflexion sur la validité de ces mariages au 1er regard.
L’article 146 du code civil dispose qu’il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas de consentement. La question qui se pose est de savoir si le consentement porte seulement sur le mariage en lui-même, ou plus étroitement, sur le mariage avec une personne bien précise ?

On sait que l’article 146 c.civ. vise l’absence de consentement au sens propre, à savoir l’absence des facultés mentales nécessaires à l’expression d’un consentement éclairé ; mais aussi plus récemment au sens moins noble, d’un mariage contracté dans le seul but d’obtenir un résultat étranger à l’union matrimoniale (le résultat étranger le plus prisé étant l’obtention d’un titre de séjour ou de la nationalité française). C’est ce qu’on appelle les mariages nuls pour défaut d’intention matrimoniale ou mariages simulés (ou encore selon l’expression vulgarisée, les mariages « blancs »).

Dans le cas de l’émission Mariés au 1er regard, je ne suis pas certaine que le défaut d’intention matrimoniale puisse être invoqué de manière péremptoire. La plupart des candidats aura sans doute sincèrement adhéré au concept, et vraiment voulu se marier avec une personne scientifiquement compatible avec elle. De sorte qu’il y aura consentement au mariage lui-même, et à ses effets. Le seul but étranger qui pourrait être exclusivement poursuivi serait la volonté de se faire connaître du public et d’accéder à la notoriété (auquel cas, ces candidats pourraient se rabattre sur d’autres émissions moins engageantes). Intention par ailleurs dont il restera à rapporter la preuve, ce qui ne sera pas toujours évident.

Néanmoins, doit-on entendre l’intention matrimoniale comme celle portant sur le mariage avec une personne en particulier ?

Il est difficile d’envisager que le consentement au mariage puisse être déconnecté de la personne avec qui l’on entend s’engager dans ce mariage. Le mariage est l’union solennelle (art. 165 c.civ) contractée entre 2 personnes (article 143 c.civ.), en vue de se soumettre à une organisation juridique contraignante (art. 203 et s. c.civ). On pense aux devoirs personnels que sont le devoir de cohabitation, le devoir de fidélité ou encore le devoir de conjugal, qui paraissent indissociables de la personne du « créancier » ! A priori, le mariage recèle une dimension personnelle très forte, en ce sens que l’identité et la personnalité de l’autre partie est un élément essentiel de l’engagement. Cela renvoie à la notion d’intuitu personae, que l’on connait en droit commun des contrats. Dans certains contrats, l’intention de s’engager ne suffit pas ; la volonté de traiter avec telle personne est déterminante. L’intuitu personae peut être de l’essence de certains contrats (donation, prêt) ou résulter de la volonté des parties.

Reste à déterminer si l’intuitu personae est une condition de validité du mariage ? En droit commun des contrats, l’article 1134 du code civil prévoit que l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. En matière plus spécialement de mariage, le fait que l’article 180 du code civil fasse de l’erreur sur la personne ou ses qualités essentielles, une cause de nullité, laisse à penser que le mariage est par essence un acte intuitu personae.

L’analyse de la validité du mariage entre parfaits inconnus sous l’angle de l’intuitu personae peut être mise en perspective avec la solution d’un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 11 juillet 2019. Si les faits de l’espèce ne sont pas similaires, le parti pris de la Cour de la cassation pourrait venir conforter la problématique de la validité des mariages avec une personne indéterminée. Il s’agissait d’un homme de nationalité française et d’une femme de nationalité russe qui avaient fait connaissance sur internet et qui s’étaient mariés après seulement 10 jours passés ensemble, lors de la venue de la femme en France pour rencontrer pour la première fois ce monsieur, puis le mois précédent la cérémonie de mariage, et quelques échanges skype. Le mari a demandé l’annulation du mariage, sur le fondement du défaut d’intention matrimoniale, au motif que Madame ne cherchait qu’à se marier avec un français, peut importe lequel, pour venir vivre en France, alors que l’intention matrimoniale devait s’exprimer à l’égard spécifiquement de l’époux et non comme une intention au mariage à des fins matérielles pouvant se concrétiser avec toute personne quelconque susceptible de satisfaire à cet objectif. Certes, il y avait en filigrane le spectre du mariage mixte, ce qui colorait le dossier. Mais la discussion ne portait pas seulement sur la nature des buts poursuivis par l’épouse, et le pourvoi concluait à l’exigence d’une personnification de l’intention matrimoniale.

La Cour d’appel de Toulouse a rejeté la demande en nullité du mari au motif « qu’il n’était pas établi qu’à la date du mariage, Mme L… n’avait pas la volonté de se soumettre aux obligations en résultant, celle-ci souhaitant au contraire que son futur époux lui convienne et se projetant dans un avenir commun avec lui, peu important qu’elle ait ou non éprouvé des sentiments amoureux ».

Au visa de l’article 146 du code civil, la Cour de Cassation a censuré la décision de la Cour d’appel, lui reprochant d’avoir statué ainsi « alors qu’elle avait relevé qu’il était certain que Mme L… souhaitait rencontrer un homme français et vivre en France, ce dont il résultait qu’il n’existait pas d’intention matrimoniale spécifique à l’égard de M. Y ».

Il faut en comprendre que le défaut d’intention matrimoniale était constitué parce que l’épouse recherchait les effets du mariage en général, mais pas le mariage conclu avec une personne en particulier. C’est donc que pour la Cour de cassation, l’intention matrimoniale s’apprécie intuitu personae.

Ce raisonnement paraît pouvoir être transposé au mariage sans connaissance préalable de l’autre époux avant la cérémonie. Si l’intention abstraite de se marier préexiste, elle n’est pas spécialement dirigée vers une personne. Il s’évince que les mariages de l’émission « Mariés au 1er regard » pourraient encourir la nullité pour défaut d’intention matrimoniale sur la personne de l’autre époux.

On pense à un moyen qui pourrait être opposé à cette nullité. Dès lors que la participation à l’émission implique une organisation des relations contractuelles à l’égard de la production et entre les participants, on pourrait tenter de soutenir que les candidats, en acceptant de s’en remettre à des tests de compatibilité et de ne se découvrir que le jour du mariage, ont entendu ne pas faire de la considération de la personne de l’autre époux un élément essentiel de leur mariage. Mais cela sous-entendrait que l’on puisse déroger à l’intuitu personae du mariage ? On en doute fort. Si le mariage repose sur un accord de volonté, les conditions de formation du mariage et le statut d’époux qui en découle, échappent encore largement aux accords privés. C’est la dimension institutionnelle du mariage qui résiste ici (au contraire de la dissolution du mariage où elle a cédé du terrain à la liberté conventionnelle). On pense aux devoirs personnels des époux qui sont d’ordre public et auxquels les époux ne peuvent déroger par une convention contraire. Les époux ne pourraient se délier de leurs devoirs personnels, mais par contre ils pourraient s’y engager sans savoir envers qui ? Assurément, non. La renonciation à l’intuitu personae ferait dégénérer la nature du mariage, ce pourquoi, il ne peut s’agir d’un élément laissé à la disposition des parties. Bien entendu, l’intuitu personae ne doit pas être confondu avec l’existence de sentiments amoureux, qui est indifférente à la formation du mariage. Ce qui compte c’est l’intention matrimoniale, pas l’amour (du moins pour la validité du mariage ; mais il peut aider à sa pérennité !).

Il est probable que nous restions sur notre faim et que nous n’ayons jamais d’application jurisprudentielle sur ces mariages à l’aveugle. Car, il est prévu au contrat que la production prend en charge les frais de divorce, si l’alchimie n’est pas au rendez-vous. Voilà, une manière de dissuader les apprentis mariés d’agir en annulation de leur mariage. Attention toutefois aux effets que produira ce mariage dans l’intervalle : les devoirs et obligations entre époux s’appliqueront, et notamment l’obligation de contribution aux charges du mariage. Le régime primaire également, avec la solidarité des dettes ménagères, et l’un des époux pourrait souscrire des dettes engageant l’autre à son détriment. Sur le plan matériel, la précaution de faire régulariser aux époux un contrat de séparation de biens, ne les met donc pas à l’abri de toute mauvaise surprise. On pense encore à la survenance d’un décès qui ferait du conjoint survivant un héritier. Le divorce n’entraînant la dissolution du mariage que pour l’avenir, une action en annulation du mariage pourrait s’avérer salvatrice en ce qu’elle emporterait la disparition rétroactive du mariage, qui sera donc censé n’avoir jamais existé. L’intérêt d’une action en nullité n’est donc pas totalement à enterrer.

Suite au prochain épisode…




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